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Hommage à Claudio Abbado
   
 

Récit de ma rencontre avec Claudio Abbado

Nous sommes en 1996 et je séjourne depuis de longs mois à l’hôpital de Gravelone à Sion où je suis soumis à une lente rééducation suite à une maladie. Les journées sont longues et mon frère Philippe me propose une excursion en Italie.
C’est à Turin que je suis entrainé, dans un magasin de partitions « La Ricordi », dans lequel je me rendais auparavant très souvent. La vendeuse émue, me reconnaît et m’offre alors un grand poster représentant le visage de ce grand chef d’orchestre qu’est Claudio Abbado, qui aura sa place sur le mur de ma chambre.

Un matin, regardant ce portrait, une employée me questionne sur l’identité de cet homme. Je lui réponds :« Claudio Abbado ». Elle me dit alors que sa cousine, qui vit à Londres, le connaît personnellement. Quelques jours plus tard, à mon grand étonnement, cette cousine me rend visite, me demandant si je souhaitais transmettre un message au grand chef d’orchestre ou lui faire une requête personnelle. Je lui réponds qu’un CD dédicacé me ferait le plus grand plaisir. Mais pour elle, cela ne parait pas suffisant :« Vous êtes compositeur…. Envoyez-lui donc les partitions de vos oeuvres ! ».
L’idée me plait bien, et dans la foulée, nous allons imprimer quelques partitions créées en ergothérapie. Ainsi cette dame repart à Londres avec mes créations.

Stupéfait, un mois plus tard, je reçois une invitation par fax (en ce temps-là, pas d’internet, pas de mail) pour assister à la répétition de l’Orchestre philarmonique de Berlin à Montreux.
Depuis ma plus tendre enfance, je suis passionné par cette formation, d’abord dirigée par Karajan, puis en 1989, après la mort de ce dernier, par Claudio Abbado, plébiscité à l’unanimité par l’orchestre, jusqu’en 2002.

Un nouveau fax arrive à l’hôpital quelques jours plus tard, venant cette fois-ci de l’Orchestre de Chambre de Londres me demandant de leur faire parvenir d’autres partitions, mais cela me paraît tellement incroyable que je n’y donne pas suite.

Le jour du concert du Berliner à Montreux arrive enfin et c’est cette fois ma soeur Danielle qui m’y conduit. En arrivant, nous sommes impressionnés en voyant tous les bus de l’orchestre, décorés aux effigies des plus grands compositeurs.
A l’intérieur de l’Auditorium Stravinsky sont installés une quarantaine de journalistes et critiques musicaux à l’affût d’une interview possible.... C’est alors qu’apparaît l’intendant de l’orchestre, invitant tout le monde à sortir. J’obtempère, déçu de n’avoir rien vu, ni entendu, mais l’homme me rattrape et me questionne en allemand pour savoir si je suis « Herr Kummer ». J’acquiesce et il me prie alors de rester…
L’orchestre entre, les musiciens s’installent, noir dans la salle… Tout à coup Claudio Abbado est là !
Je suis seul, dans cette grande salle, face à la scène…

Le raccord terminé, l’orchestre est libéré. Le maestro se tourne, s’avance en bout de scène, me cherchant dans la salle. Il descend l’escalier avec mes partitions sous le bras et commence à me parler en allemand. Ne connaissant pas la langue de Goethe, je lui réponds en italien. Il s’assied alors en face de moi et le dialogue s’installe, il me dit que ma musique est très belle, que je dois continuer. Il m’annonce aussi, avec de l’émotion dans sa voix qu’il va malheureusement quitter le « Berliner » pour des raisons de santé.

Nous parlons musique encore quelques instants qui me paraissent d’une intense plénitude, puis tout à coup, il s’enquiert de savoir si j’ai une place pour le concert du soir même. Lui répondant par la négative, il fait appeler l’intendant de l’orchestre et requiert deux billets. Celui-ci réplique que
c’est complet. Mais Claudio Abbado répète : « Je veux deux billets pour ce soir ! » …

Plus tard le concert débute par la Symphonie inachevée de Schubert, mais ce soir-là, je ne peux aller jusqu’à la fin de la représentation tellement je suis submergé par l’émotion, je suis contraint de partir en plein concert : Retour pour l’hôpital de Sion…
Que de souvenirs à jamais gravés dans ma mémoire, que d’images présentes à mon esprit…

Janvier 2014, à la mort de Claudio Abbado, l’idée de lui rendre hommage dans une création me vient à l’esprit.
Avril 2014, dans la station thermale italienne d’Abano Terme, je commence à composer. Jouant sur les lettres de son nom de famille et la dénomination écrite allemande des accords de musique :
          A = La, B = Sib, et Do (en français)
          (La-Bb-Bb-La-Do)
Je construis mon concerto sur ce motif, soit au niveau de l’harmonie, du rythme que de la cellule musicale elle-même.
La partition terminée en 2016, je la confie à l’Orchestre de Chambre du Valais, sous la direction du chef Jean-Luc Darbellay, qui jouera cette création le 27 novembre 2016, à 17h00, au Théâtre de Valère de Sion.

Guy Kummer-Nicolussi
Hôtel Ermitage Bel Air, Via Monte Ortone 50 - 35031 Abano Terme, Italia
Juillet 2016